En matière de rémunérations, le « cadre commun » aux trois fonctions publiques doit-il être conservé ? La question se posera dans les prochains jours au gouvernement. Tour d’horizon de ce qu’en pensent des organisations professionnelles de la fonction publique territoriale.
Dégeler le point d’indice et engager une profonde refonte de l’ensemble des grilles indiciaires. Ce sont deux engagements connus, et attendus, du programme d’Emmanuel Macron.
Passées les législatives, son ministre de la Transformation et de la fonction publiques, Stanislas Guerini (en ballotage défavorable à Paris avant le second tour) devra s’y atteler rapidement. Mais la première interrogation à trancher, selon le dossier de prise de fonctions que la DGAFP lui a adressé, sera celle du « maintien d’un cadre commun » aux trois versants de la fonction publique.
Les marges de manœuvre laissées aux employeurs doivent être questionnées au regard de leurs points de convergence, de divergence… Et de la revendication des employeurs territoriaux à être plus associés aux choix et à disposer de plus d’autonomie.
Réfléchir au maintien ou non du cadre commun : cette idée ne sort pas de nulle part. Le 17 juillet 2017, lors de la première Conférence des territoires, Emmanuel Macron, tout juste élu pour un premier mandat de président de la République, déclarait : « Il n’est pas normal, lorsqu’on cherche à augmenter par exemple le point de la fonction publique hospitalière, que toutes les fonctions publiques soient entraînées dans le même mouvement. Nous devons avoir une gestion différenciée des fonctions publiques, parce que leur réalité est différente, parce que les contraintes de gestion qu’on fait ensuite peser de manière mécanique sur les collectivités locales sont peu soutenables. »
Cette idée, mais la croyait tuée dans l’œuf.
« Pas d’avis préconçu »
Aussi, l’Association des DRH de grandes collectivités territoriale a-t-elle voulu prendre les devants. Dans ses propositions aux candidats à l’élection présidentielle, elle se dit ouverte pour participer à une réflexion sur la décorrélation du point d’indice entre versants de la fonction publique.
Celle-ci « pourrait présenter une réponse aux attentes, associée à une montée en puissance de la capacité de négociation des employeurs territoriaux fédérés au niveau national ».
« Elle aurait pour avantage que seuls les territoriaux pourraient être concernés. Il n’y aurait pas d’effets budgétaires pour l’Etat et l’hospitalière. A contrario des évolutions de régime indemnitaire, les territoriaux bénéficieraient de ces évolutions également pour leur pension de retraite », imagine l’ADRHGCT.
L’un de ses porte-parole, Nicolas Lonvin, par ailleurs DGS du centre de gestion du Finistère (29), ajoute : « cela a été évoqué par le passé. Mais on n’a jamais mesuré ce que cela pouvait avoir comme effets réels. Ce que nous avons écrit là ne veut pas dire que nous sommes favorables. Cela signifie que nous ne voulons pas avoir d’avis préconçu ».
Et de rappeler que cette orientation n’arrive qu’à la toute fin d’une série de recommandations, à savoir, primo, de recréer un réel étagement des différentes catégories d’emploi, et ce, de manière urgente afin que, dès le 1er janvier 2023, les premiers effets puissent se faire sentir ; deuxio, il faudrait rénover les modalités de calcul des ratios promus/promouvables, en prenant pour référence les nominations sur tous les emplois permanents (stagiaires, titulaires et contractuels), quand seuls les fonctionnaires entrent dans le périmètre actuellement. Objectif : atteindre un plus grand nombre de nominations pour la promotion interne et les avancements de grade.
« Malaise énorme » au sein de la fonction publique
Du côté des autres associations de praticiens, on ne veut plus entendre parler de décorrélation du point d’indice. « Je n’ai pas de mot pour qualifier de façon négative cette idée. Sauf à ce qu’on nous démontre, qu’on nous prouve ! que ce serait de gros avantages pour chacun des trois versants et la fonction publique en général – et ça, je n’y crois pas une seule seconde – nous y sommes totalement opposés », réagit Stéphane Pintre.
Le président du syndicat des DG de collectivités ne voit pas plus belle manière de diviser, d’une part les fonctionnaires entre eux, et d’autre part les employeurs publics entre versants et au sein même de la territoriale.
« Différencier le point d’indice, c’est créer de l’inégalité dans le traitement des agents et l’attractivité à tous les niveaux. On voit déjà que le régime indemnitaire n’est pas possible à la même hauteur partout. Le malaise serait énorme si cela se faisait », prévient le DGS d’Antibes.
Mauvaise surprise aussi, du côté de l’AATF, de revoir surgir cette idée de décorrélation du point d’indice. Amaury Brandalise, vice-président de l’association, « n’en comprend pas les raisons » après la promulgation et application en cours depuis finalement peu de temps de la réforme de la fonction publique visant, entre autres, à favoriser les mobilités inter-versants.
« Nous sommes ouverts à la modernisation, attachés à la promotion de la mobilité et nous nous sommes battus pour estomper ces silos entre différents corps et ministères », rappelle-t-il, abasourdi. « Ce serait se prendre pour Frankenstein : créer un système dont on ne mesure pas les effets induits et qui va à contresens de l’histoire. »
Quel rempart ?
« Le jour où le point d’indice sera augmenté dans l’hospitalière et pas pour les Atsem, cela va mal se passer », pestait Philippe Laurent, président du CSFPT, en 2017, à l’issue de la Conférence des territoires.
« Je n’ai pas pu m’empêcher de penser, bien avant qu’on en reparle, que c’est avec le danger d’une décorrélation du point d’indice en tête que s’est inscrit dans le rapport [sur l’attractivité de la FPT], auquel il a participé, cette recommandation : impliquer pleinement les employeurs locaux dans les négociations salariales menées par le gouvernement », confie une DG de centre de gestion, qui souhaite rester anonyme.
Ledit rapport va même plus loin avec cette proposition : mener une réflexion sur l’institutionnalisation de la Coordination des employeurs territoriaux, pour l’instant informelle, en interlocuteur « officiel » du gouvernement et des organisations syndicales dans la négociation sociale au niveau national. Mais les avis sont partagés. L’institutionnalisation fait craindre les risques d’inertie.
La capacité des employeurs locaux à faire rempart et défendre les intérêts de la fonction publique territoriale face au gouvernement sera testée dans les jours à venir, dans le cadre du dégel du point d’indice.