Les entreprises face à une vague record de démissions
Les démissions atteignent des niveaux records en France : + 19,4 % en deux ans, en juillet dernier. La crise sanitaire a, le plus souvent, été le déclencheur, révélant les aspirations nouvelles de salariés insatisfaits au travail. Les entreprises vont devoir s’adapter.
Lauriane, 35 ans, travaillait depuis dix ans comme assistante commerciale dans l’automobile. Avant le premier confinement, elle venait d’être promue responsable de son service. « Une bonne boîte, un salaire, une maison : j’étais dans ma zone de confort », rembobine cette maman de deux enfants, qui habite Landéda (29). Et puis, la covid-19 a chamboulé cette « petite routine ». « Je me suis retrouvée trois mois à la maison, sans télétravailler, sans rien. Je me suis posé énormément de questions sur ma plus-value dans la société. Mon compagnon est agriculteur. Je lui disais : « Toi, tu nourris les gens, ton métier a du sens. Moi, je vends du rêve, rien de plus ».
Le sentiment d’être utile
C’est alors que Lauriane est contactée par une entreprise de pompes funèbres qui cherche à recruter. « J’ai accepté l’entretien par curiosité : le secteur d’activité m’attirait mais la prise de risque n’était pas trop envisageable. Pourtant, en rencontrant celle qui allait devenir ma patronne, ça a été une évidence. Après une semaine de réflexion, j’ai posé ma démission. »
Depuis un an, Lauriane est agent funéraire et responsable d’agence. Accueil des familles, transfert des défunts, préparation des cercueils, conduite des corbillards, supervision des cérémonies… « Je me suis trouvée ! », s’enthousiasme la jeune femme, évoquant un métier « polyvalent » qui la « fait vibrer » et la « transcende ». « J’accompagne les proches de A à Z, du mieux possible, dans un moment difficile. On a beau être confronté à la mort, c’est le métier le plus vivant du monde ». Cerise sur le gâteau : loin de perdre en salaire, elle gagne un peu plus qu’avant, et son travail est à cinq minutes de chez elle.
Métier passion
Comme Lauriane, ils sont nombreux, pendant la crise sanitaire, à s’être interrogés sur le sens de leur vie et avoir pris conscience que leur travail ne les comblait pas. Comme Mathilde, 27 ans, de Fouesnant (29), technicienne de laboratoire depuis plusieurs années dans le secteur agroalimentaire. « J’aimais bien ce que je faisais, mais sans plus. L’isolement imposé par la pandémie m’a fait ressentir mon besoin d’exercer un métier plus au contact du public, et pour lequel j’éprouve une réelle passion », analyse cette férue de triathlon qui s’est reconvertie dans… la mécanique vélo.
La vague de démissions qui touche la France est probablement moins massive que celle qui a frappé les États-Unis mais peut-être n’est-on qu’au début d’un mouvement ascendant. Les dernières statistiques de la Dares (service de statistiques du ministère du Travail) font ressortir une augmentation du nombre de démissions de salariés en CDI, en juillet dernier, de 19,4 % par rapport à 2019, et une hausse de 25,8 % des ruptures anticipées de CDD. « Au troisième trimestre 2021, les démissions de CDI dépassent nettement leurs niveaux pré-crise et ce dynamisme se poursuit en octobre », observe la Dares dans sa derrière publication, début février.
Changement de paradigmes
« Le CDI n’est plus le graal qu’il a été », confirme David Beaurepaire, directeur délégué d’Hellowork. Le leader français de la recherche d’emploi numérique enregistre actuellement plus de 500 000 offres d’emploi par mois – « du jamais vu ». Un dynamisme du marché qui fait qu’« on arrête de repousser certains choix et qu’on n’hésite plus à démissionner », analyse ce spécialiste, « surtout chez les 20-35 ans ». De fait, le rapport de forces s’est inversé. « En phase de recrutement et, dans plusieurs secteurs, de pénurie de main-d’œuvre, les candidats ont beaucoup plus la main ». Tant sur les conditions de travail que sur le niveau de rémunération.
Car c’est un autre effet – pandémique lui aussi – de la covid-19 : 43 % des employés seraient susceptibles de changer d’emploi cette année, selon une étude menée par Microsoft auprès de 31 000 personnes dans 31 pays. Cela ne signifie pas qu’ils vont le faire. Mais cela entérine le fait que les priorités ont changé. Ainsi, 53 % des sondés se déclarent plus enclins qu’avant à faire passer leur santé et leur bien-être avant le travail.
L’insatisfaction au travail
Le phénomène touche toutes les catégories socioprofessionnelles et tous les secteurs d’activité, aussi bien les métiers difficiles et souvent mal payés de l’hôtellerie-restauration que les cols blancs-cravates des grands cabinets comptables : 41 % des cadres ont songé à démissionner, d’après le baromètre Ifop-Freelance.com 2022. Une poussée de « job spleen » qui a convaincu plusieurs de nos lecteurs de changer de voie.
L’absence de reconnaissance et de perspectives a eu raison de la vocation d’enseignant de Jérôme, 45 ans, prof d’EPS dans la région briochine. Après dix ans comme contractuel dans l’Éducation nationale, « à servir de bouche-trou et enchaîner les CDD dans trois établissements distants à la fois », il a jeté l’éponge et vient de lancer une société de peinture-décoration.
David, 54 ans, technicien qualité et fournisseur projet chez Renault, a profité d’un plan d’aide au départ pour tourner le dos aux « directives, aux réorganisations répétées et aux rendez-vous en visio qui ont tué le relationnel ». Après un an de télétravail et de réflexion, Il a troqué son bureau « vue sur déchetterie » contre le bord de mer, à Saint-Malo (35). Financièrement, il y a laissé des plumes mais il assure ne rien regretter. Son nouveau métier : « concierge dans une résidence de vacances ».